Avec la publication de son second livre, « À voie basse », Aliénor Debrocq, l’écrivaine aux multiples casquettes – auteure, journaliste et professeure – propose un nouvel éclairage sur la réalité de la parentalité.
Ce sont les livres qui ont ouvert Aliénor Debrocq au monde. Adolescente, elle a commencé à créer des histoires courtes. L’écriture est sa façon de traverser la vie. Pour l’expérimenter. Pour la comprendre. Pour explorer davantage les émotions humaines. Ainsi, de quelle autre manière pourrait-elle exister pleinement dans sa maternité que par les mots sur le papier ?
Pour devenir écrivaine, elle n’a pas choisi la voie classique de l’étude de la littérature à l’Université. Consciente du risque de perdre le contact avec son propre processus créatif d’écriture en apprenant tant de règles et de structures, elle a préféré explorer un autre centre d’intérêt, l’histoire de l’Art, et prolonger cette connaissance par un doctorat. Au cours de ses années de thèse, l’écriture fictionnelle a lentement retrouvé sa place dans sa vie. Une fois docteure, elle a expérimenté d’autres voies d’écriture, en tant que responsable de la communication pour la station de radio Musiq’3, puis comme journaliste culturelle pour Le Soir et Le Vif, avant de devenir professeure de littérature contemporaine à ARTS², l’Académie des Arts de Mons et à l’école des Arts Visuels de La Cambre à Bruxelles. Forte de ces multiples formes d’écriture, Aliénor s’est taillé une place bien à elle, lui permettant de se connecter aux mots et au monde et de partager les questionnements qui en résultent sur papier.
Avec la publication cette année de sa deuxième collection de nouvelles, « À voie basse », Aliénor explore l’univers de la grossesse et de la parentalité. Elle aborde ouvertement un sujet dont nous ne parlons encore que trop peu : avec la naissance d’un enfant vient la naissance d’une mère. La première maternité est un processus qui conduit à un changement d’identité complexe avec ses joies, mais aussi ses défis. Sans détours ni frioritures, ses personnages nous invitent dans leur vie, leurs pensées et leur cœur avec beaucoup d’humanité.
Pouvez-vous nous résumer le thème de votre second livre ?
La plupart des nouvelles de mon second livre portent sur la parentalité, mais aussi sur l’absence d’enfant. Je n’avais pas prévu d’écrire sur la maternité, ou, dans deux histoires, sur la paternité. Le désir d’écrire sur ce sujet est né de mon expérience de la grossesse et a continué pendant la première année de la vie de ma fille. À cette époque, bon nombre de mes amies étaient également enceintes et j’ai pris conscience d’une évidence : devenir mère provoque un véritable changement d’identité. Nous éprouvons une grande joie et nous nous découvrons un amour inconditionnel, mais pas seulement. L’expérience de la maternité est complexe, ambivalente et difficile. Et c’est un sujet sur lequel nous restons trop souvent silencieuses.
Professeure, journaliste, écrivaine, mère, épouse et femme. Comment arrivez-vous à tout concilier ?
Ma vie est en effet protéiforme. Elle me plaît, malgré ses contraintes. Vivre avec la difficulté permanente de la double posture, celle de la connaissance de l’enseignant autonome et celle du doute de l’écrivain dans son processus créatif, est un défi permanent. Impossible pour moi de diviser une journée entre ces deux pôles. Donc, mes périodes d’écriture sont celles pendant lesquelles je n’enseigne pas, par exemple, les vacances d’été ou de fin d’année.
J’ai du mal à considérer l’écriture de fictions comme une activité légitime dans ma vie, car ce n’est pas ce qui fait vivre ma famille. J’insère donc cette activité dans des interstices de temps « libre ». Or, ce temps libre, il faut se le créer. La pratique de la méditation de pleine conscience m’a appris à me l’accorder.
J’ai également pris conscience de la « charge mentale » de la femme au quotidien, constamment préoccupée par l’organisation des choses et la multiplicité de ses rôles. Même si de nos jours les hommes contribuent aux tâches domestiques, le travail invisible de gestion permanente du ménage en plus de sa vie personnelle et professionnelle, revient encore très souvent exclusivement à la femme. Si la femme n’en prend pas conscience et n’apprend pas à gérer cette « position de manager », elle se retrouve dans une indisponibilité mentale pour faire autre chose. Par exemple, l’été dernier, afin de pouvoir continuer à écrire, j’ai dû me faire violence pour mettre de côté mon obsession du rangement et accepter de laisser le désordre s’installer autour de moi. C’était une question de survie.
Comment décrivez-vous votre processus d’écriture ? Où puisez-vous votre inspiration ? La publication de votre premier livre a-t-elle changé quelque chose à votre démarche ?
Pour moi, écrire résulte d’une espèce de décantation du réel. L’écriture me permet de me mettre en mouvement, de me connecter et de donner un sens à la réalité. Cela peut être en partie basé sur un vécu ou des observations, mais pas seulement. Après avoir publié mon premier livre, je me suis rendu compte que, pour un cercle de lecteurs qui me connaissent personnellement, la recherche de références autobiographiques est inévitable. Tous les auteurs sont confrontés.
Je rejoins Paul Auster qui prétend que c’est quelque chose en soi qui écrit, de l’ordre d’un inconscient, et non le « je », Aliénor, qui vit sa vie de tous les jours. C’est une espèce d’instance, une voix en moi. Cela dit, j’ai récemment décidé d’utiliser des éléments du présent et de mon environnement direct pour faire des exercices expérimentaux d’écriture et voir où cela me conduit. Pourquoi vouloir séparer ce que je suis en tant que personne de ce que je suis en tant qu’auteur ? Je souhaite laisser les choses advenir librement.
Quelles causes vous sont chères ?
Le statut de la femme dans la société et l’écologie, au sens de notre relation avec la planète Terre, me touchent particulièrement.
Ce n’est pas un engagement qui se traduit par une adhésion politique ou par des actions clandestines, mais il passe par les mots qui sont ma façon d’exister. Mes personnages expriment souvent leurs inquiétudes à l’égard de ces problématiques. Certains prennent même des mesures concrètes, mais personnellement, je me sens assez démunie. A part faire mon propre compost, essayer de bien consommer et de recycler, je ne suis pas dans l’action. Toutefois, lorsque je choisis un documentaire ou un sujet d’exercice pour mes étudiants, je vais forcément vers les valeurs qui me portent.
À voie basse
Aliénor Debrocq
Editions Quadrature, 2017.
Photos – Vaya Sigmas